La ville de Kratié (on prononce Krachèh), forme une très légère avancée sur la berge gauche du Mékong. Paresseusement allongée sur trois ou quatre kilomètres, sa “promenade des Anglais” frangée de tamariniers, de tecks et de faux cotonniers domine largement le fleuve.
Kratié est une charmante ville d’un autre âge avec un côté “vieille sous-préfecture coloniale” qui ravira les nostalgiques. De fait, située dans la région historique de la lutte khmère rouge (les premiers maquis polpotiens ont vu le jour dans la jungle, à quelques kilomètres à l’est), Kratié a très tôt fait partie des premières zones dites “libérées”, ce qui lui a valu d’être relativement bien préservée architecturalement.
Dans le passé, Kratié n’a pas toujours été à la même place. Lorsqu’en 1883 les Siamois dévastèrent la province, le village de Kratié était alors situé juste en face, sur la rive opposée. Le village qui occupait la place s’appelait alors Kompong Krobey, mais les incursions siamoises et la meilleure tenue des terrains à Kompong Krobey pour l’accostage des chaloupes remontant ou descendant le Mékong ont fait que Kratié s’est transportée insensiblement de l’autre côté du fleuve, sur la rive gauche à sa place actuelle, repoussant vers l’arrière-pays la minorité Stieng qui occupait l’endroit.
Après le front du Mékong et sa promenade bordée d’arbres, à cent mètres à l’intérieur des terres, se trouve la place du marché. Avec ses passages couverts, la charmante petite rue qui y mène a un côté vieillot très prononcé, comme d’ailleurs toutes les rues autour de la place. On se croirait presque dans un village corrézien colonisé par des réfugiés… Le marché est construit en dur et propose, Mékong oblige, de nombreux articles de pêche et de navigation, ainsi que tous les produits usuels courants à des prix bien moindres que ceux pratiqués dans d’autres villes. La partie restaurant du marché est étonnamment propre ; on ne patauge pas dans la boue comme c’est souvent le cas ailleurs et cela mettrait presque en appétit…
Les rues autour du marché sont également à visiter pour les jolies maisons qu’elles révèlent ici et là.
Dans les environs
Rapides de Sambor et dauphins du Mékong. C’est au voisinage immédiat du Prek Khsor, à 7 km en amont de Kratié, que l’on entre dans la zone des rapides de Sambok. Quasiment submergés à la saison des pluies, ils interrompaient la circulation des gros bateaux en saison sèche sur près de 37 km. La promenade vaut le détour car, sur son cours supérieur, le Mékong est parsemé d’îles, de bancs de sable, de rochers affleurants. On y observe des multitudes d’oiseaux et d’animaux sauvages, parmi lesquels le dauphin d’eau douce… A 14 km de la ville, un grand panneau sur la gauche annonce d’ailleurs la présence des rarissimes mammifères en ces eaux.
La meilleure période pour les observer est la fin de soirée ; il est alors bon de louer une barque (9$/ personne) et de s’en aller à leur rencontre. D’après les gens du cru, environ une trentaine d’individus composent la communauté et s’ébattent en groupe au coucher du soleil.
A Sandan, la route principale oblique à l’Est, on peut toutefois continuer la route des berges jusqu’à Sambaur, ce village est l’emplacement de l’ancienne Çambuphura, l’une des capitales du Tchen-La au aux VIe et VIIe et longtemps l’une des grandes villes de l’ancien Cambodge jusqu’au XIXe siècle. A l’heure actuelle il ne reste que quelques débris de sanctuaires en ruines répartis sur quelques kilomètres carrés au Nord du village ; ce sont Wat Tossor Muoy Roy (la pagode aux cents colonnes) Tuol Komnop, Trapeang Thma, Trapeang Prey et Luang Prang dont on ne peut que difficilement entrevoir l’importance.
Les Siamois pillèrent Sambaur en 1840, emmenant en captivité de 6 à 8000 habitants dont la moitié périrent dans la jungle sur le chemin de Bangkok. Quelques captifs parvinrent à s’enfuir et retournèrent à Kratié, ceux qui restèrent prisonniers fondèrent, parait-il, un village près de Bangkok.